Pierre GOUDOT, né à Colmar le 23 août 1929, est décédé mardi 1er janvier 2019 à Montluçon, où il résidait avec son épouse Paulette depuis son départ en retraite en 1989.
Dans l’esprit de beaucoup, notamment dans l’Est où il a accompli toute sa carrière, Pierre restera comme un enseignant d’exception. Instituteur à Dombasle-sur-Meurthe au sortir de l’école normale – tout en poursuivant des études de lettres à l’université de Nancy –, professeur certifié au lycée Ernest-Bichat puis à la cité scolaire de Lunéville, enfin professeur agrégé, censeur et adjoint à l’inspecteur d’académie : la trajectoire de l’homme, modèle de cursus "à l’ancienne", dit à elle seule le goût du travail qui l’animait et qu’il a transmis à ses élèves comme à ses proches. De là vient à n’en pas douter une partie du respect et même de l’admiration qu’il a pu susciter, dans lesquels jouaient également un indéniable charisme, une vaste culture classique – française, mais aussi allemande – ainsi qu’une vision exigeante du métier d’enseignant.
Exigeante, c’est-à-dire pas toujours consensuelle dans la France de l’après-68 : nombreux sont les proches de Pierre à garder le souvenir jubilatoire d’anecdotes cruellement hilarantes sur tel ou tel médiocre démagogue de ses collègues, racontées au détour d’un repas en famille avec le sens de la formule et de la théâtralité qui le caractérisait. Loin de lui valoir une image de conservateur ou de réactionnaire – d’autant moins justifiée qu’il a été à Lunéville la cheville ouvrière d’expériences pédagogiques innovantes –, cette intégrité a au contraire profondément marqué ses élèves. Que l’une d’entre eux ait eu à cœur, bien des années après le départ de Pierre en retraite, d’adresser à son professeur de lettres de seconde des mots pleins de reconnaissance et d’affection dans les remerciements liminaires de sa thèse de doctorat de pharmacie en dit long sur l’influence intellectuelle qu’il a exercée sur des cohortes d’esprits en formation.
Pierre avait à l’évidence le goût de la pédagogie et de la transmission ; un goût dont il ne s’est jamais départi jusqu’à la fin de sa vie, qu’il a transmis à plusieurs de ses proches et qui nourrissait activement les liens d’affection qu’il avait appris à cultiver avec les siens, notamment avec les plus jeunes. Mais l’enseignant était aussi un chercheur passionné, comme l’ont d’abord montré son mémoire de D.E.S. consacré à l’auteur Émile Moselly et sa contribution à l’Encyclopédie illustrée de la Lorraine, ambitieux projet éditorial coordonné par l’historien et universitaire nancéien René Taveneaux, pour lequel Pierre nourrissait depuis lors une vive admiration.
Voilà qui eût suffi à beaucoup, mais pas à notre homme. Membre actif du Rotary Club de Lunéville, membre de l’académie Stanislas et secrétaire du prix littéraire Émile Moselly, il est engagé auprès de son épouse Paulette dans l’aventure du Parvis des arts, la galerie d’art lunévilloise où exposent dans les années 1980 Roger Chapelain-Midy et Jean Jansem. L’histoire familiale ne manque pas d’anecdotes rocambolesques de retours de séjours parisiens, le coffre d’un break Ford rempli de toiles de grande valeur, que Pierre encadrait ensuite avec talent et minutie dans un atelier enfumé. Et comme si tout cela n’était pas assez, le Parvis des arts fut également une maison d’édition.
On ne sait exactement quelle part aura eu l’influence de la période René Taveneaux dans cette trajectoire, mais le fait est que Pierre a consacré après son départ en retraite l’essentiel de son activité intellectuelle à ce qui aura sans doute été sa véritable discipline de cœur : l’histoire – et par extension l’archéologie, ce qui ne surprend pas venant d’un bricoleur, encadreur et jardinier hors pair qui aura rénové sept maisons (!) et pour qui les choses de l’esprit n’excluaient pas de savoir retourner la terre ou gâcher du mortier en bougonnant, le tout avec la même exigence du travail bien fait. Il n’a jamais renoncé au commerce des grands auteurs, bien sûr ; mais il n’ignorait ni ne cachait le poids des déterminismes familiaux dans son orientation première vers la littérature.
Aussi, les enjeux académiques et professionnels immédiats une fois mis à distance, il est très peu de jours que Pierre n’aura au moins partiellement consacrés, pendant quelque trente ans, à l’histoire de la Combraille et du Bourbonnais. Les érudits savent la valeur de ses travaux pointus sur la microtoponymie de ces terroirs, dans lesquels se mêlaient avec virtuosité passion de l’archéologie et science de l’étymologie. Mais ses marottes étaient aussi diverses que nombreuses, des ermites du haut Moyen Âge aux épidémies de la fin du siècle des Lumières via la "limite nord-sud des églises romanes à clocher-mur" (sujet qu’il déclamait avec une malice renvoyant très directement aux "chevaliers-paysans de l’an mil au lac de Paladru" d’Agnès Jaoui dans le film On connaît la chanson d’Alain Resnais). Hétéroclites, tous ces objets d’histoire avaient en commun la rigueur méthodologique avec laquelle Pierre aimait les découvrir et les comprendre, dans une démarche mêlant enquête dans la poussière des vieilles archives, fouilles dans la boue, retour aux sources littéraires et travail bibliographique au plus haut niveau scientifique dans la quiétude tamisée de son bureau. Une quiétude tamisée et enfumée de volutes de Gauloises, pendant longtemps – trop longtemps, lui a un jour soufflé son corps.
Ce qui frappait, chez cet esprit brillant – et d’une lucidité intacte jusque dans les derniers instants –, c’est la modestie et la discrétion, qu’il incarnait plus largement par le discours, par la posture, par le vêtement. Modeste et discrète était sa mise par écrit de souvenirs et d’anecdotes chers à son épouse Paulette, sans intention aucune de voir cela sortir du cercle familial. Modeste et discret, aussi, son refus de tisser davantage de liens intellectuels avec des universitaires dont les travaux entraient en résonance avec les siens, tel le géographe clermontois Pierre Bonnaud qu’il tenait pourtant en haute estime. Pierre a préféré devenir un érudit local au sens le plus noble du terme, c’est-à-dire un savant heureux de mettre son savoir et ses efforts au service de la vie associative intellectuelle et culturelle du territoire, notamment dans le cadre du Cercle d’archéologie de Montluçon, qu’il a présidé, et de la société des Amis de Montluçon.
Cet engagement intellectuel était la façon dont Pierre voulait et savait contribuer à la vie locale, bien plus que l’engagement dans la vie politique et citoyenne, auquel il a néanmoins touché par sens du devoir et par curiosité, quelques années durant, au sein de l’équipe municipale de Saint-Marcel-en-Marcillat, peu après l’installation définitive de Pierre et Paulette dans la demeure familiale du hameau du Clos que le couple projetait depuis des décennies. Figure appréciée du canton de Marcillat-en-Combraille, terre d’origine de son épouse qu’il avait pleinement fait sienne, il a préféré l’engagement actif dans des associations telles que Combraille Environnement, qu’il a présidée après avoir encadré de nombreux chantiers de jeunes venus de toute l’Europe, et Action XIII, dont il alimentait infatigablement, jusqu’à une époque toute récente, le bulletin en mises au point historiques très attendues et prisées des lecteurs.
Ramasser en si peu de mots la vie d’un homme, qui plus est si tôt après sa disparition, est difficile, presque vain. Que rappeler, que mettre en exergue dans le maquis des événements sans oublier l’essentiel ? On se souviendra qui du professeur membre du Rotary, qui du père ou du grand-père féru de New Orleans jazz dont les yeux brillaient comme ceux d’un enfant lorsqu’il évoquait à table ses souvenirs de vol en planeur, là où Paulette gardera le souvenir d’un époux protecteur jusqu’au dernier souffle, qui aura mis beaucoup de lui dans la maison du Clos si chère à toute une famille. S’il fallait à tout prix choisir, on retiendrait tout de même un maître-mot : "curiosité". Curiosité des œuvres, des choses, des autres ; des piliers de notre culture tout au début, des enjeux sociétaux et environnementaux de demain tout à la fin. Pierre fut un mélange élégant de tout cela, de brillants traits saillants, d’aspirations parfois contraires ; un mélange rare dont la disparition à l’aube d’une nouvelle année laisse chez tous ceux qui l’ont aimé un très grand vide.
Dans l’esprit de beaucoup, notamment dans l’Est où il a accompli toute sa carrière, Pierre restera comme un enseignant d’exception. Instituteur à Dombasle-sur-Meurthe au sortir de l’école normale – tout en poursuivant des études de lettres à l’université de Nancy –, professeur certifié au lycée Ernest-Bichat puis à la cité scolaire de Lunéville, enfin professeur agrégé, censeur et adjoint à l’inspecteur d’académie : la trajectoire de l’homme, modèle de cursus "à l’ancienne", dit à elle seule le goût du travail qui l’animait et qu’il a transmis à ses élèves comme à ses proches. De là vient à n’en pas douter une partie du respect et même de l’admiration qu’il a pu susciter, dans lesquels jouaient également un indéniable charisme, une vaste culture classique – française, mais aussi allemande – ainsi qu’une vision exigeante du métier d’enseignant.
Exigeante, c’est-à-dire pas toujours consensuelle dans la France de l’après-68 : nombreux sont les proches de Pierre à garder le souvenir jubilatoire d’anecdotes cruellement hilarantes sur tel ou tel médiocre démagogue de ses collègues, racontées au détour d’un repas en famille avec le sens de la formule et de la théâtralité qui le caractérisait. Loin de lui valoir une image de conservateur ou de réactionnaire – d’autant moins justifiée qu’il a été à Lunéville la cheville ouvrière d’expériences pédagogiques innovantes –, cette intégrité a au contraire profondément marqué ses élèves. Que l’une d’entre eux ait eu à cœur, bien des années après le départ de Pierre en retraite, d’adresser à son professeur de lettres de seconde des mots pleins de reconnaissance et d’affection dans les remerciements liminaires de sa thèse de doctorat de pharmacie en dit long sur l’influence intellectuelle qu’il a exercée sur des cohortes d’esprits en formation.
Pierre avait à l’évidence le goût de la pédagogie et de la transmission ; un goût dont il ne s’est jamais départi jusqu’à la fin de sa vie, qu’il a transmis à plusieurs de ses proches et qui nourrissait activement les liens d’affection qu’il avait appris à cultiver avec les siens, notamment avec les plus jeunes. Mais l’enseignant était aussi un chercheur passionné, comme l’ont d’abord montré son mémoire de D.E.S. consacré à l’auteur Émile Moselly et sa contribution à l’Encyclopédie illustrée de la Lorraine, ambitieux projet éditorial coordonné par l’historien et universitaire nancéien René Taveneaux, pour lequel Pierre nourrissait depuis lors une vive admiration.
Voilà qui eût suffi à beaucoup, mais pas à notre homme. Membre actif du Rotary Club de Lunéville, membre de l’académie Stanislas et secrétaire du prix littéraire Émile Moselly, il est engagé auprès de son épouse Paulette dans l’aventure du Parvis des arts, la galerie d’art lunévilloise où exposent dans les années 1980 Roger Chapelain-Midy et Jean Jansem. L’histoire familiale ne manque pas d’anecdotes rocambolesques de retours de séjours parisiens, le coffre d’un break Ford rempli de toiles de grande valeur, que Pierre encadrait ensuite avec talent et minutie dans un atelier enfumé. Et comme si tout cela n’était pas assez, le Parvis des arts fut également une maison d’édition.
On ne sait exactement quelle part aura eu l’influence de la période René Taveneaux dans cette trajectoire, mais le fait est que Pierre a consacré après son départ en retraite l’essentiel de son activité intellectuelle à ce qui aura sans doute été sa véritable discipline de cœur : l’histoire – et par extension l’archéologie, ce qui ne surprend pas venant d’un bricoleur, encadreur et jardinier hors pair qui aura rénové sept maisons (!) et pour qui les choses de l’esprit n’excluaient pas de savoir retourner la terre ou gâcher du mortier en bougonnant, le tout avec la même exigence du travail bien fait. Il n’a jamais renoncé au commerce des grands auteurs, bien sûr ; mais il n’ignorait ni ne cachait le poids des déterminismes familiaux dans son orientation première vers la littérature.
Aussi, les enjeux académiques et professionnels immédiats une fois mis à distance, il est très peu de jours que Pierre n’aura au moins partiellement consacrés, pendant quelque trente ans, à l’histoire de la Combraille et du Bourbonnais. Les érudits savent la valeur de ses travaux pointus sur la microtoponymie de ces terroirs, dans lesquels se mêlaient avec virtuosité passion de l’archéologie et science de l’étymologie. Mais ses marottes étaient aussi diverses que nombreuses, des ermites du haut Moyen Âge aux épidémies de la fin du siècle des Lumières via la "limite nord-sud des églises romanes à clocher-mur" (sujet qu’il déclamait avec une malice renvoyant très directement aux "chevaliers-paysans de l’an mil au lac de Paladru" d’Agnès Jaoui dans le film On connaît la chanson d’Alain Resnais). Hétéroclites, tous ces objets d’histoire avaient en commun la rigueur méthodologique avec laquelle Pierre aimait les découvrir et les comprendre, dans une démarche mêlant enquête dans la poussière des vieilles archives, fouilles dans la boue, retour aux sources littéraires et travail bibliographique au plus haut niveau scientifique dans la quiétude tamisée de son bureau. Une quiétude tamisée et enfumée de volutes de Gauloises, pendant longtemps – trop longtemps, lui a un jour soufflé son corps.
Ce qui frappait, chez cet esprit brillant – et d’une lucidité intacte jusque dans les derniers instants –, c’est la modestie et la discrétion, qu’il incarnait plus largement par le discours, par la posture, par le vêtement. Modeste et discrète était sa mise par écrit de souvenirs et d’anecdotes chers à son épouse Paulette, sans intention aucune de voir cela sortir du cercle familial. Modeste et discret, aussi, son refus de tisser davantage de liens intellectuels avec des universitaires dont les travaux entraient en résonance avec les siens, tel le géographe clermontois Pierre Bonnaud qu’il tenait pourtant en haute estime. Pierre a préféré devenir un érudit local au sens le plus noble du terme, c’est-à-dire un savant heureux de mettre son savoir et ses efforts au service de la vie associative intellectuelle et culturelle du territoire, notamment dans le cadre du Cercle d’archéologie de Montluçon, qu’il a présidé, et de la société des Amis de Montluçon.
Cet engagement intellectuel était la façon dont Pierre voulait et savait contribuer à la vie locale, bien plus que l’engagement dans la vie politique et citoyenne, auquel il a néanmoins touché par sens du devoir et par curiosité, quelques années durant, au sein de l’équipe municipale de Saint-Marcel-en-Marcillat, peu après l’installation définitive de Pierre et Paulette dans la demeure familiale du hameau du Clos que le couple projetait depuis des décennies. Figure appréciée du canton de Marcillat-en-Combraille, terre d’origine de son épouse qu’il avait pleinement fait sienne, il a préféré l’engagement actif dans des associations telles que Combraille Environnement, qu’il a présidée après avoir encadré de nombreux chantiers de jeunes venus de toute l’Europe, et Action XIII, dont il alimentait infatigablement, jusqu’à une époque toute récente, le bulletin en mises au point historiques très attendues et prisées des lecteurs.
Ramasser en si peu de mots la vie d’un homme, qui plus est si tôt après sa disparition, est difficile, presque vain. Que rappeler, que mettre en exergue dans le maquis des événements sans oublier l’essentiel ? On se souviendra qui du professeur membre du Rotary, qui du père ou du grand-père féru de New Orleans jazz dont les yeux brillaient comme ceux d’un enfant lorsqu’il évoquait à table ses souvenirs de vol en planeur, là où Paulette gardera le souvenir d’un époux protecteur jusqu’au dernier souffle, qui aura mis beaucoup de lui dans la maison du Clos si chère à toute une famille. S’il fallait à tout prix choisir, on retiendrait tout de même un maître-mot : "curiosité". Curiosité des œuvres, des choses, des autres ; des piliers de notre culture tout au début, des enjeux sociétaux et environnementaux de demain tout à la fin. Pierre fut un mélange élégant de tout cela, de brillants traits saillants, d’aspirations parfois contraires ; un mélange rare dont la disparition à l’aube d’une nouvelle année laisse chez tous ceux qui l’ont aimé un très grand vide.
Grégory GOUDOT, son petit-fils
Pour et au nom de la famille
Pour et au nom de la famille
J'ai 48 ans. Je cherchais à savoir ce qu'était devenu un des meilleurs profs que j'ai eu (j'ai fait des études jusqu'à l'âge de 24, c'est dire que j'en ai vu ...). Il était notre prof en 1ère en 1988. Il m'a tellement marqué, que son visage, ses manières, sa façon de s'exprimer sont ancrés dans ma mémoire ... je suis un peu triste de voir qu'il est décédé, et en même temps heureuse de lire qu'il a vécu longtemps, et richement...
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